Ces belles personnes sont parties, chevauchant de magnifiques chevaux, comme dans cette célèbre citation de Yaşar Kemal. Je ressens un profond sentiment de perte, comme si les personnes les plus aimantes et bienveillantes du monde nous quittaient une à une, nous laissant seuls dans ce monde.
Parmi
ces êtres extraordinaires, il y avait Monsieur Huseyin, né en 1935 dans une
petite ville du nord de l’Iran, dans une famille modeste. Encore enfant, il a
commencé comme apprenti chez un tailleur azéri, où il a non seulement maîtrisé
l’art de la couture, mais aussi appris l’azéri. Après son installation à
Téhéran, il a fait prospérer ses affaires, embauché du personnel, et est devenu
l’un des tailleurs les plus respectés de la ville. Il avait même habillé des
membres de la famille royale et de la classe politique. Malgré cela, il était
connu pour sa modestie et sa gentillesse tout au long de sa vie.
Une
autre personne, Madame Mukerrem – que tout le monde appelait Muki – est née en
1933. Peut-être parce qu’elle n’était pas particulièrement belle, ou parce
qu’elle craignait de rester célibataire, elle a épousé ce tailleur alors pauvre
en 1962. Ensemble, ils ont rapidement atteint une bonne situation économique,
acheté une maison, une voiture, ouvert un atelier et envoyé leurs enfants dans
des écoles privées.
Mais la Révolution islamique allait bouleverser leur vie. Ce qui avait commencé comme un mouvement de libération s’est rapidement transformé en un régime oppressif, où la police morale des mollahs persécutait ce couple. Parce qu’il confectionnait des vêtements pour femmes, la boutique de Monsieur Huseyin fut plusieurs fois perquisitionnée et il fut publiquement humilié et accusé de manière agressive. Sous cette pression constante, la lumière de la vie dans ses yeux s’est progressivement éteinte. Bien qu’il fût une personne douce, bienveillante et sans aucune intention de nuire, la pression du régime l’a poussé à s’exiler.
Dans
les premières années de la Révolution, il a envoyé son fils et sa fille en
Suède pour leurs études. Sa fille s’est ensuite mariée et est partie aux
États-Unis, où il a fini par s’installer avec sa femme, à proximité de sa
fille, en Virginie. Cependant, il a toujours gardé au fond de son cœur
l’amertume de ces dernières années passées en Iran et, avant de mourir, il a
fait le vœu que son corps ne soit jamais ramené en Iran.
Il
n’était pas seulement un tailleur, mais un véritable artiste. Aussi créatif que
les stylistes modernes et un maître dans son art, lorsqu’il confectionna la
robe de mariée de sa belle-fille en Suède, il se contenta de voir une photo du
modèle souhaité et d’obtenir les mesures par téléphone depuis l’Amérique. À son
arrivée à Stockholm, la robe s’ajusta parfaitement, mais avec sa modestie, il
attribua ce succès à la silhouette « parfaite » de la jeune femme plutôt qu’à
ses compétences.
Sa
belle-fille turque l’enchantait particulièrement. Il parlait volontiers l’azéri
appris dans sa jeunesse, bien qu’il se sentît gêné de ne pas connaître tous les
équivalents en turc. Avec son sourire chaleureux, il parlait toujours avec une
profonde gentillesse.
En
décembre 1998, Huseyin avait 63 ans, et sa femme Muki 65. Ils vivaient en
Virginie, dans un appartement à Fairfax où ils nourrissaient les oiseaux sur le
balcon, et regardaient des séries américaines le soir. Monsieur Huseyin avait
transformé une pièce en atelier de couture et confectionnait des tenues pour la
communauté iranienne de la région.
Lors de ma première visite chez eux, ma future belle-mère m’a accueillie avec une courtoisie réservée, tandis que mon futur beau-père m’a reçue avec une chaleur immense, comme si j’étais sa propre fille. Rapidement, j’ai aussi conquis le cœur de ma belle-mère, et elle clôturait chaque appel par un tendre « Je t’aime ».
Malgré
mon divorce, je suis restée en contact avec eux, et ils m’ont toujours
accueillie en tant que mère de leurs petits-enfants et leur « vraie »
belle-fille. Malheureusement, nous avons perdu ces belles personnes. En
septembre 2020, Monsieur Huseyin est décédé à Los Angeles à l’âge de 85 ans, et
en octobre 2024, Madame Muki est partie à Téhéran, à l’âge de 90 ans.
Nous n’avons pas pu nous rendre en Iran pour un dernier adieu à Madame Muki. La dernière fois que j’ai vu Madame Muki, c’était en juin 2024 à Zurich. Elle était fatiguée et nous a parlé avec difficulté, puis mon fils, en larmes, m’a dit qu’elle ne l’avait pas reconnu lors de leur dernier appel vidéo. Peu de temps après, mon ancien mari a passé trois semaines auprès d’elle, avant qu’elle ne s’éteigne.
Mon
dernier souvenir de Monsieur Huseyin date de 2018. Lors de notre visite, il a
pris en charge le perçage d’oreille de mon fils, déclarant qu’il en serait le
bienfaiteur. C’était son ultime geste d’amour, et je chéris les boucles
d’oreilles qu’il m’a offertes ce jour-là.
Ces
beaux êtres sont partis, chevauchant de magnifiques chevaux, mais ils vivent
encore dans nos cœurs, à jamais aimés et jamais oubliés.
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